Une histoire oubliée du coton en Inde -   Partie 1
Une histoire oubliée du coton en Inde -   Partie 1

Des origines millénaires au règne du coton Bt

Saviez-vous que le coton pouvait pousser sans pesticides, sans engrais, et sans irrigation ?
Pendant des millénaires, c’était une évidence en Inde. Les paysans semaient leurs variétés locales — les cotons dési — et la pluie suffisait. Pas besoin de chimie, pas besoin de machines sophistiquées. Juste le cycle des saisons, la terre, et un savoir transmis de génération en génération.

La culture du coton en Inde remonte à près de 5 000 ans. On en a retrouvé des traces dans les fouilles de la vallée de l’Indus : fibres, fragments de tissus, graines carbonisées. Bien avant que l’Europe ne découvre cette fibre, l’Inde en faisait déjà un art. Elle filait, tissait, teignait, et ses tissus, réputés pour leur douceur et leur résistance, voyageaient jusqu’en Égypte, en Arabie, en Chine.

En Europe, on ne connaissait pas le coton avant les croisades médiévales, et même là, on restait persuadé que la plante “donnait” de la laine. Ce n’est qu’avec l’expansion maritime et coloniale, à partir du XVIᵉ siècle, que les marchands européens commencèrent à importer massivement des tissus indiens, très demandés sur le marché. Les cotonnades colorées de l’Inde étaient si prisées qu’elles déclenchèrent au XVIIᵉ siècle une véritable “folie du coton” en Europe — au point que certains pays, comme la France, interdirent leur importation pour protéger leur propre industrie textile.

Mais à la fin du XVIIIᵉ siècle, l’Angleterre, lancée dans sa révolution industrielle, vit dans le coton indien une ressource stratégique. Les nouvelles filatures mécaniques de Manchester réclamaient un approvisionnement régulier en fibres longues et homogènes. Or, le coton cultivé en Inde depuis des millénaires — le dési,— produisait une fibre plus courte, idéale pour la filature à la main, mais incompatible avec les machines anglaises.

Les Britanniques introduisirent donc en Inde une autre espèce, Gossypium hirsutum, originaire des Amériques, appelée “coton anglais” dans le sous-continent indien. Cette fibre longue était parfaite pour leurs machines, mais beaucoup plus exigeante : gourmande en eau, sensible aux insectes locaux, dépendante des intrants.

Les autorités coloniales ne se contentèrent pas de promouvoir cette culture : elles l’imposèrent, tout en interdisant ou restreignant sévèrement la culture des cotons endémiques. Les tisserands indiens furent directement empêchés de travailler : les métiers à tisser furent détruits, l’exportation de fils et de tissus indiens lourdement taxée, et dans certaines régions, le tissage à domicile fut purement et simplement prohibé. Les paysans étaient contraints de cultiver ce coton à longue fibre pour l’export, et ce coton brut partait en Angleterre, était filé et tissé dans les usines de Manchester, puis réimporté en Inde pour y être vendu — souvent à un prix inférieur à celui des tissus locaux.

En quelques décennies, ce système planifié fit disparaître la majorité des variétés locales et brisa l’économie textile artisanale qui faisait la fierté de l’Inde depuis des millénaires.

En 1947, au moment de l’indépendance, le pays était ruiné à bien des égards : économiquement exsangue après deux siècles de pillage colonial, affaibli par les famines (dont celle du Bengale en 1943, orchestrée par les Britanniques, qui fit plusieurs millions de morts), et dépourvu de son autonomie agricole. Il fallait nourrir la population, reconstruire, moderniser. Dans ce contexte, revenir aux semences paysannes n’était pas une priorité. On adopta les variétés hybrides, on encouragea l’irrigation massive, et la révolution verte finit d’installer un modèle agricole tourné vers le rendement.

Dans les années 1990, l’ouverture économique du pays coïncida avec l’arrivée des multinationales semencières. Monsanto entra en scène avec une promesse : le coton Bt, génétiquement modifié pour résister à certains insectes, allait enfin libérer les paysans du spectre des ravageurs et des pertes. La Banque mondiale conditionna son aide à l’introduction de cette technologie qui fut validée et promue par les institutions indiennes. En quelques années, le coton Bt couvrit plus de 90 % des surfaces de coton en Inde.

Mais ce qui était censée être la fin des problèmes, se révéla être le début d’une autre histoire.

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