Le coton Dési indien
Le coton Dési indien

Le mot "dési" signifie littéralement "du pays" en Hindi. Il désigne les variétés de coton autochtones de l’Inde, principalement issues des espèces botaniques Gossypium arboreum, cultivé en Inde depuis environ 5000 ans, très répandu dans le centre et le sud du pays et Gossypium herbaceum, originaire d’Afrique, introduit en Inde il y a environ 2500 à 3000 ans par les routes maritimes et caravanières reliant la vallée du Nil, la péninsule Arabique et la côte ouest indienne.

Ces cotons dési sont adaptés depuis des millénaires aux climats locaux, à la mousson, aux sols secs, et surtout à une agriculture sans intrants chimiques.

Autrefois largement cultivés à travers toute l’Inde, ces cotons étaient à la base d’un système textile local, durable et circulaire : les paysans cultivaient, les fileurs filaient à la main, et les tisserands produisaient des étoffes de qualité, parfois d’une finesse extrême.

Parmi ces cotons on citera notamment :

  • le Kala cotton du Kutch (Gujarat), rustique, capable de pousser dans des sols arides et salins :  surnommé “noir” (kala) non pas pour la couleur de sa fibre mais pour la teinte sombre de ses graines et la robustesse de la plante.
  • le coton rouge de Ponduru (Andhra Pradesh), légèrement teinté naturellement par des pigments végétaux, filé et tissé encore aujourd’hui par quelques artisans dont le savoir-faire est en voie d’extinction.
  • le Wagad cotton du nord du Gujarat, très proche du Kala, apprécié pour sa capacité à pousser sans irrigation dans des zones semi-désertiques.
  • le Jayadhar du Karnataka, au fil naturellement souple et résistant.
  • le Yerrapatti du Tamil Nadu, connu pour sa fibre légèrement plus longue et son adaptation aux zones côtières.
  • le Punasa du Madhya Pradesh, autrefois prisé pour la finesse de son fil.

Tous ces cotons dési ont un point commun : une fibre courte et résistante, idéale pour la filature manuelle au rouet (charkha) ou au fuseau. Filée à la main, elle donne un fil solide, respirant, et un tissu d’une incroyable douceur qui se patine avec le temps. Le khadi, rendu célèbre par Gandhi, est l’héritier direct de cette tradition.

Le coton dési, on le voit c’est donc l’histoire d’une résilience naturelle : ses racines profondes lui permettent de puiser l’eau en profondeur, il supporte les sécheresses, résiste à la plupart des insectes locaux, et se contente de sols pauvres. Là où le coton moderne réclame irrigation et chimie, lui s’épanouit presque seul.

Et pourtant, il a presque disparu. Sous la colonisation britannique, les variétés dési furent remplacées par des cotons à longue fibre de l’espèce américaine Gossypium hirsutum adaptés aux filatures de Manchester. Après l’indépendance, la modernisation agricole et, plus tard, l’arrivée du coton Bt ont achevé de marginaliser ces semences paysannes.

Les tisserands traditionnels ont suivi le même chemin : à Ponduru, par exemple, il ne reste plus que quelques familles capables de transformer le coton rouge local du champ jusqu’au tissu fini. Lorsque ces mains disparaîtront, c’est tout un savoir qui s’éteindra.

Aujourd’hui, un mouvement de renaissance s’amorce. Dans le Kutch, certaines coopératives aident les paysans à replanter du Kala cotton et à le vendre directement aux tisserands. Au Karnataka, quelques villages continuent à cultiver le Jayadhar. Des designers indiens et étrangers, attentifs aux matières naturelles, commencent à intégrer ces tissus dans leurs collections.

Mais ce retour aux sources reste fragile.

Mais dans le monde tel qu’il est, ce retour aux sources n’est pas pour tout le monde. Le coton kala, le coton rouge, les tissus tissés à la main... tout cela demande du temps, du savoir, de la patience — et donc coûte plus cher que les étoffes synthétiques produites à la chaîne. Aujourd’hui, ces matières naturelles et locales, portées par des collectifs artisanaux ou des marques engagées, trouvent surtout leur place dans les milieux avertis : mode éthique, haute couture, consommateurs sensibles à l’écologie ou au patrimoine.

Autrement dit, ce qui était hier la norme paysanne, accessible à tous, devient peu à peu un produit d’élite, réservé à ceux qui peuvent se le permettre — ou savent pourquoi ils le veulent.

C’est tout le paradoxe. Si cette renaissance ne s’accompagne pas d’un soutien massif à l’artisanat, d’un changement profond dans nos habitudes de consommation, elle risque de finir comme une mode réservée aux privilégiés, loin des champs où elle est née.

Car, au-delà du prix, il y a une question de conscience : comprendre qu’un vêtement ou un accessoire ne vaut pas seulement par son design, mais par sa fibre, son impact sur la terre, et les mains qui l’ont fabriqué.

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